vendredi 6 janvier 2012




Réalisation
De Tony Gatlif - France - 2001 - 1h30min






Résumé. 

Max, un garçon de dix ans, se découvre une passion pour le jazz manouche. En vacances chez sa grand-mère, il se rend dans le quartier des gitans pour faire l'acquisition d'une guitare. Le temps d'un été, Max fera, auprès de Miraldo, un musicien virtuose, l'apprentissage de la musique et de la culture manouche. Par ailleurs, il connaîtra ses premiers émois amoureux aux côtés de l'énigmatique Swing, une fille de son âge.


Entretien avec Tony Gatlif 

"Tchavolo, c'est l'héritier de Django Reinhardt"

Tony Gatlif :

Introductio
Le réalisateur de "Swing" évoque la musique aérienne des guitares manouches, venue du coeur et des oreilles, apprise sous les arbres et le ciel, comme une mémoire à transmettre. Un film inspiré par Tchavolo Schmitt, un maître pour les gitans, qui préfère rester dans sa maison de transit du côté de Strasbourg et jouer dans les bars.

Max découvre le monde des gitans, il est initié à leur musique et à leurs traditions.
Tony Gatlif :  Max vient chez les gitans pour chercher une guitare, c'est la musique qui fait le lien. Max est initié à tout un mode de vie différent du sien. Il va découvrir ce monde parce qu'il est précisément dépourvu d'a priori, et totalement détaché du monde de sa mère qui passe sa vie à s'agiter avec son téléphone portable.

L'Andalousie vous avait inspiré Vengo, pour Gadjo Dilo vous aviez posé vos caméras dans un village près de Bucarest. Là, nous sommes avec des manouches français sédentarisés.T.G. : On a planté nos caméras au cœur des quartiers du Neuhof et de la cité des Aviateurs, des quartiers de Strasbourg. C'est là qu'habite Tchavolo Schmitt.

Comme Max, votre jeune héros, vous aviez envie d'approcher un guitariste manouche. Parlez-nous de Tchavolo.T.G. :  J'avais très envie de faire un film avec Tchavolo Schmitt. Il me fascine car il est totalement désintéressé ! Pour les manouches, Tchavolo Schmitt est l'équivalent pour les gitans, de Tomatito, le guitariste de Cameron de la Isla. L'un est célèbre dans le monde entier et l'autre, Tchavolo, préfère rester dans sa maison de transit du côté de Strasbourg. Alors, je suis allé le filmer dans sa maison, dans sa rue, dans sa cuisine. Il n'a pas de voiture, il gagne sa vie en jouant dans les bars.

Quelle est l'importance de cette communauté manouche qui vit dans les cités de Strasbourg ?T.G. :  Plus de mille personnes. Ce sont des manouches sédentarisés vivant en France depuis plusieurs générations. Ils parlent le sinti, du rom mélangé à l'alsacien. Ils vivent dans des caravanes et des petites maisons construites en préfabriqué dont on peut transpercer les murs avec le doigt. Leur musique est beaucoup plus jazz, plus swing, c'est du Django Reinhardt. L'acteur Mandino Reinhardt, qui joue le brocanteur dans le film, est un lointain cousin de Django.

Ils jouent avec la fameuse guitare à la Django
T.G. : C'est la guitare Selmer inventée pour Django, la guitare swing, avec un creux sur la droite de la caisse de résonance. Django avait même mis en place une petite usine pour fabriquer cette guitare.

À propos du flamenco, vous aviez dit : «Ce n'est pas une musique jolie, c'est une musique de la violence, de la peine et de la force.» Comment définiriez-vous le swing manouche ?
 T.G. : C'est une musique aérienne, de l'espace. La main de Tchavolo qui court sur le manche de sa guitare, on dirait un oiseau qui s'envoie ! Cette musique, qui devrait être remplie de douleur et de colère, est d'une gaieté communicative. Il y a de la nostalgie, mais aucune gravité. C'est une musique qui n'est pas jolie, mais belle, joyeuse et libre comme la petite Swing. Elle est arrogante, elle ose aller d'une note à une autre en cassant le rythme. C'est une musique qui vient du cœur et de l'oreille, elle ose des notes qu'un musicien qui a appris la musique au Conservatoire ne peut imaginer. Tchavolo, c'est l'héritier de Django Reinhardt. L'héritier de la musique manouche. Il a cette liberté, cette arrogance du « non avoir».

Parlez-nous des compagnons de fête de Tchavolo.
T.G. : Ben Zimet, qui joue le docteur, est un chanteur yiddish réputé à Paris où il vit. Il a en lui ce mélange de joie et aussi une grande tristesse. Quand Tchavolo écoute un 78 tours, c'est un chant klezmer, une musique yiddish très ancienne. En allant à Budapest pour rencontrer la chanteuse Mitzu qui chante à la fin du film, je suis tombé par hasard sur un vendeur de vieux disques. C'est comme ça que j'ai découvert cette chanson, « Romania ». J'ai retrouvé la chanteuse Katia, du Budapest Klezmer Band, et je l'ai amenée avec son groupe sur le tournage. Abdellatif Chaarani, qui joue du oud et du derbouka, est originaire de Casablanca. Il vit à présent à Strasbourg. Je l'aime beaucoup, c'est un déraciné, un exilé, mais il a toujours ses origines dans la peau. Lui aussi a la musique au bout des doigts. Sa musique, c'est son âme. Un immigré n'est nulle part chez lui. Quand c'est un musicien, il a la chance de transporter dans ses bagages un peu de ses racines. Il prend son instrument et, en quelques notes il est dans son pays.

Quelle est l'influence de la musique sur la mise en scène ?
T.G. : La musique est cette liberté qui me donne le souffle de faire mes films, le souffle d'aller à la rencontre des autres dans le monde. Ce film ne pouvait se concevoir sans musique. Elle symbolise la liberté d'une enfant comme Swing. Et c'est pour découvrir ce style de musique étrangère à sa culture que Max va chez les manouches. La musique rythme l'ensemble du film. Nous avons travaillé pendant trois mois avec Tchavolo et Mandino sur une adaptation des « Yeux noirs», en mêlant des influences manouches, arabes et Yiddish.

Comment avez-vous tourné les séquences musicales ? On a totalement l'impression d'être dans la caravane, entouré des musiciens, des danseuses. C'était improvisé ?T.G. : L'exiguïté du lieu imposait au contraire une préparation minutieuse. Nous avons mis au point, très précisément, tous les déplacements de caméras, de façon à être au moment voulu, dans le rythme et à la bonne focale sur chaque musicien. Quand j'ai expliqué à l'ingénieur du son, Régis Leroux, et à Claude Garnier, qui est chef opérateur et cadreuse sur le film, qu'on allait filmer vingt musiciens dans la caravane, Claude m'a dit : «Mais la caméra, elle sera où ? ». J'ai répondu : «Partout !»

Vous avez multiplié les caméras ?
T. G. - Toute cette séquence est filmée avec seulement deux caméras, la seconde devant filmer en fonction du cadre de la première. À cause de l'exiguïté du lieu, il y avait toujours le risque qu'elle soit dans le champ. On a chorégraphié les mouvements des caméras comme pour un ballet. Il fallait suivre très précisément la musique, passer du solo de guitare à la contrebasse, puis revenir sur le violoniste ou sur la clarinette à la fraction de seconde près ! Chaque musicien avait trois micros, un pour le grain de la corde, le deuxième pour la caisse de résonance, le troisième pour l'espace. La scène dure six minutes, c'était impossible à tourner en play-back.

Vous filmez la fête, la joie de vivre, mais vous consacrez aussi une séquence au génocide des gitans.
T.G. : C'est un sujet difficile à traiter. Les rares manouches ayant réussi à sortir vivants de cette période hésitent à en parler, voire n'en parlent pas du tout. Je cherchais une femme manouche qui accepterait de parler de sa déportation et j'ai trouvé Hélène Mershtein.

Cette scène de la grand-mère est filmée comme un documentaire.
T.G. : J'ai refusé toute idée de mise en scène pour cette séquence précise. La caméra était simplement posée là et j'ai laissé à Hélène la liberté totale de raconter son histoire : on l'a enlevée, elle et toute sa famille. Ils ont tout laissé sur le bord de la route, les roulottes, les animaux, le feu qui brûlait... Il y a eu environ 500 000 gitans morts en déportation, c'est énorme pour ce peuple. Peu de vieux sont revenus. Depuis, il y a un grave problème de transmission. Depuis l'holocauste, les gitans ne sont plus comme avant, ils ont changé leur façon de vivre en suivant l'évolution de la société. Leur musique est subversive. Une musique que l'on n'apprend pas avec les yeux sur une partition, mais avec le cœur et l'oreille.

Cette musique communautaire, le jazz manouche ou gipsy, a une influence magistrale dans le monde.
T.G. : C'est une ethnie méprisée d'un côté et adulée de l'autre. Je voulais qu'à travers leur musique gipsy, on découvre et prenne conscience de leurs difficultés à vivre. À la fin du film, il n'y a plus de musique. Après le départ de Max, Swing entre dans l'immeuble de sa cité et ferme la porte. Tout le film est fait pour montrer cette réalité sociale.

Qui sont les héritiers de Django Reinhardt depuis la disparition récente de son fils Babik ?
T.G. : Babik était vraiment un frère. On avait le projet ensemble de réaliser un film sur Django Reinhardt. Il y a bien sûr Tchavolo et Dorado Schmitt, qui est aussi un grand musicien. Bireli Lagrene a un large public, mais également Mandino Reinhardt, Moreno, Christian Escoudé, Boulon Ferré et il y en a bien d'autres... Il y a de plus en plus de jeunes musiciens qui s'intéressent au jazz manouche. J'ai filmé Max en pensant à Thomas Dutronc, le fils de Jacques qui est un guitariste prometteur, passionné par ce style de musique, il va régulièrement rendre visite à Tchavolo dans son quartier pour jouer avec lui. Dans 20 ans, Max, comme Thomas Dutronc, pourra transmettre cette musique.

Il y a de nombreux plans aériens dans le film.
T.G. : Cette musique, quand je l'écoutais avant de tourner, je la sentais tellement aérienne que j'ai eu envie de faire le film sur une dominante d'envol, de plans aériens. Les gitans ont un rapport fort au religieux (il y a toujours une vierge dans la caravane ou à la maison), l'au-delà, le cosmos, les étoiles, et la nature.

Comment résumeriez-vous votre film ?
T.G. : Ce serait l'histoire d'un petit garçon qui tombe dans une flaque d'eau et, à la fin du film, sa mère lui demande «Pourquoi t'es mouillé ?».

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