"Les offrandes de Alfred Manessier" --------------------- Séance spéciale -- documentaire artistique

Un film de Gérard Raynal, 1992. 52 min. Grand Prix de la 5e Biennale Internationale du film sur l'art.
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Récit de la séance :
(Jeanne Vilbert et Alain Arnaud)
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Jeanne, a choisi et présenté ce film sur Alfred Manessier -Elle participe au Réseau d’échanges réciproques de Savoirs de Nantes mais aussi Yvon, et Marie Annick qui aime les Beaux-arts et nous a fait découvrir Manessier. C'est par ce Réseau que nous sommes venus en avril dernier installer ce ciné-club
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Michel qui est prof de cinéma à Nantes et Anne-Marie, une artiste d’Angers étaient invités . Betty intervient au Restau nous a rejoint, parce qu’elle s’intéresse à l’art - mais aussi aux activités du restaurant par lesquelles nous souhaitons créer une dynamique de création, dans un esprit de solidarité.
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Jeanne prend la parole. Elle souhaite partager cette rencontre avec un vieil homme, peintre, avec un pays aimé d’eau, et de lumière. Partager aussi cet incroyable savoir : fabriquer et colorer le verre – ce qui était le métier de son père. On a tous besoin de lumière, à l’extérieur et à l’intérieur…
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Les lumières s’éteignent, une demi obscurité se fait, le film démarre, l’image est belle contre le mur, la musique trop forte mais porteuse. Le restaurant s’ouvre sur un horizon de mer et de sable, celui de la baie de Somme enveloppée par la voix prenante en « off » d’Alfred Manessier, que l’on ne voit pas encore. Des images splendides, qui trament des motifs, qui s’entrelaceront plus tard avec les œuvres. Sans que l’on ne sache lesquels sont l’illustration des autres. Si l’art éclaire la nature et l’homme ou bien si….. Nous en débattrons après le film. Pour l’instant, nous sommes aspirés par la belle voix de cet homme, par les images, la musique, dans le récit du film.
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L’échange après Le film.

Après cette séance le film continue de résonner en nous avec les voix du débat. Elles composent une polyphonie pleine de couleurs, comme celles du film, mais qui reflète aussi bien la couleur des différentes personnalités qui se sont exprimées dans des accords et des différences. Nous ne savons plus quelquefois lesquelles appartiennent à qui. Et nous en avons oublié. Mais voici :

Longtemps Serge prend la parole. Un ange vagabond de Nantes. Avec des sacs énormes qu'il transporte même pour venir manger ici. C’est le spectateur fidèle du ciné-club, de toutes les séances depuis neuf mois. Le temps d’un accouchement ? Jamais il n’a parlé aussi longtemps, on ne plus l’arrêter.

Le sable représentait des dessins. Grâce à lui je le découvre. Et tous ceux qui passent la journée à la plage, à rien faire, sans s’en apercevoir…

Alfred Manessier est disponible, il prend le temps pour aller regarder.
Il ne parle pas sur la toile, il la fait vivre. Ce qui est noir et gris et blanc, il le personnifie, ça scintille, il colore. La toile est vivante. La création se continue. Beaucoup de messages…

- « SVP Serge, tais-toi, laisse parler les autres… »

On retrouve une quête. Il est impressionné. Il avance par plein de touches successives. Il a trouvé quelque chose. Il cherche la lumière, il est pleinement conscient du monde alentour.

Alain dit : qu’ on peut déplier le film sous plusieurs aspects, par exemple sous celui de la spiritualité. Dans la dernière partie du documentaire Manessier dit à peu près « Je laisse entrer les choses que je n’aimerais pas entendre, je ne ferme pas la porte, à ces choses ». Cela croise d’autres traditions. Dans le manichéisme, l’ombre est propice à l’émergence de la lumière. Le philosophe allemand Nietzsche, combat l’esprit d’abattement, la dépression, et fait dire à son personnage Zarathoustra : « je porte dans tous les gouffres mon affirmation qui bénit ».

Betty : Non ! c’est très culturel, les vitraux, ces musiques sont une forme d’expression d’une éducation judéo-chrétienne. Que dira ce film à un musulman ?

Benjamin : Voir ces hommes qui travaillent le verre, ça parle à tout le monde. C’est un film sur un homme inscrit dans une histoire et une géographie. Il ne plonge pas les gens dans un intégrisme religieux. Ce film peut être vu par tous. Il se démarque d’un monde de la consommation, de ceux qui ne croient en rien et ne s’attachent qu’au luxe, au strass, aux paillettes. Manque d’amour et peinture : les toiles retournées, c’est fort. Le meilleur message des chrétiens, l’amour. Je pense que c’est vrai. En écoutant les é-toiles, c’est bon, c’est fort. Sur Internet, des gens vont dire : « n’écoutez pas ces gens là » !

La musique

Un constat : Elle est toujours plus forte que les textes. Très ou trop… Elle recouvre de façon excessive ? Elle fait trop double langage ?

Jeanne : À un moment, c’est un cri. J’entends ce cri. Cette mort me saute à la figure. Par ce cri d’abord qui dit l’insupportable, l’injuste, les coups tordus…La musique contribue à faire voir avec le cœur. Elle installe un sentimentalisme.

Ce choix est intéressant. Un rythme que Manessier explique dans sa peinture. Je ressens les couleurs qu’il y a dans cette musique. Et si on mettait une musique non religieuse… Le réalisateur est chrétien, il a un axe. Ce que j’aime bien, c’est l’accent sur la symphonie. En quoi son travail est une symphonie. La musique nous fait intérioriser de manière assez forte les images. Le cri et la passion. Quand il parle de symphonie, tout le monde y voit des choses particulières. Qu’on soit chrétien ou pas, ce genre de film est intéressant. Il y a des zones en creux. Le propos du peintre est irremplaçable.

De quoi est parti ce film ? De textes, de peintures, d’un lieu ? Ce serait intéressant de connaître la genèse du film.

Sortir, être hors du champ cathodique des évènements et des horreurs colportées. Grâce à ce documentaire, ça va mieux…Il y a aussi le bruit de la vague, du ressac, de la rame et les oiseaux.

Anne-Marie : Et la préoccupation de l’artiste à trouver la bonne couleur…A la fin il évoque une technique qui crée une sorte de couleur mate. Il est presque au bout de sa vie, il n’est pas au bout des découvertes. La lumière, ombre et lumière. Il est à la fin de sa vie et il termine par ce triptyque. Sa recherche n’est pas close, c’est une marche. De près, on ne voit pas ce que représente le vitrail. Il faut être loin.

C’est intéressant de voir les bords de mer comme ça. La nature a quelque chose à dire, elle est vivante. Les gens y vont juste pour leur plaisir, sans voir. Le noir et blanc au début étonnant. C’est joli. Le peintre met la couleur dans nos yeux pour voir la nature, les gris sont très beaux.

Vie de malheur, vie de bonheur, il revient sur des lieux de tristesse. C’est un passeur. Il nous fait comprendre que le soleil nous éclaire beaucoup. Le sable, le paysage change avec les marées.

François : Pour Bouddha, chaque arbre est différent et chaque feuille est différente.

Il y a tellement de formes d’expression de la beauté. L’enfance, la baie de Somme. Le silence en musique c’est une pause un désert


Avant de se séparer : le cri et la paix.

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Peut-être que la question du cri serait à reprendre, dans une autre séance du ciné-club.
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Le cri final du père qui court nu dans le désert dans "Théorème" de Pasolini. Le cri de Ingrid Bergman, dans "Stromboli" de Rossellini, au sommet du volcan grondant ; en bout de course, terrorisée d’abord, elle se relève et dit « quelle beauté, quel mystère !». Le cri de la belle s’évanouissant à la vue de la bête dans le film de Cocteau. Le cri qui libère le personnage joué par Elisabeth Taylor se ressouvenant l’instant insupportable de la mort de son cousin dans "Soudain l’été dernier ". Le cri qui résonne dans la dernière partie de ce film sur et avec Manessier.

Jeanne termine la séance par une chanson apaisante sur le silence et ses couleurs, par laquelle elle nous donne dans sa voix toute sa tendresse de la vie. Elle est chaleureusement applaudie par tous. A la fin du documentaire au moment du cri, Manessier utilise le mot « protestation ». Il utilise encore celui de justice. Il parle aussi de se tenir droit.

Anne-Marie après la séance nous a adressé ces mots : « A la suite de ce vendredi... dans le train m’est venu à l'esprit à quel point le travail d'artiste dépassait les murs de l'atelier mais aussi les murs du temps... Manessier est mort, le réalisateur aussi mais leur travail continue de nourrir les gens : j'y voyais comme un encouragement à reprendre le travail solitaire, plein de doutes mais opiniâtre, la suite ayant à être donnée dans un abandon confiant... Voilà cela m'a occupé l'esprit de belle façon... »
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