vendredi-29-juillet-13H30-Les roseaux-sauvages


Vendredi 26 juillet à 13h30 au restaurant social 16 rue Pierre landais 

Pour finir notre saison de ciné-club en beauté, quoi de mieux pour éprouver l'amitié et l'amour, dans la sensualité de l'été, que ce très beau film  d'André Téchiné?!!




Les roseaux sauvages
(1h 50min)
Réalisé par André Téchiné 1994
Avec Élodie Bouchez, Gaël Morel, Stéphane Rideau






Récompenses : 4 césars ( du Meilleur film français de l'année, du Meilleur réalisateur, du Meilleur jeune espoir féminin Élodie Bouchez, du Meilleur scénario original ou adaptation)
Et prix Louis Delluc ! 

Résumé :
En 1962, en pleine guerre d'Algérie, alors que les attentats OAS se multiplient, l'intrusion d'un garçon pied-noir exilé va bouleverser la vie paisible de l'internat du lycée où il est accueilli.

Débat : amour ou amitié ?

Nos commentaires
Amenie 
Je suis partie au moment du "problème technique" qui, je l'espère, s'est résolu ?! 
J'avoue ne pas m'être "sentie à l'aise".. d'où mon départ "un peu précipité".. Dommage, car le film était plutôt bien    Merci et désolée Alain 

Alain
J'ai revu avec vous ce film que j'aime sous un autre jour avec bonheur - malgré toutes les interruptions, émaillées de parasitages humains divers. Un beau cinéma. J'ai mis un moment avant de prendre la décision de le passer ici en raison de la mise en scène très intime, très "naturelle", de l'homosexualité. Et du fait que l'orientation homosexuelle puisse aussi dans le film concerner les hétéros, sans recouvrir l'amitié, des sentiments humain, de façon puissante.
Cette puissance se développe dans une dimension de respect d’accueil des uns vis vis des autres qui passe par du rejet, ou de l'écart, des différences qui ne sont pas abolis mais s'estompent. Dans la singularité dans un pot communautaire ouvert !. Voilà qui sied au restaurant social.

Par exemple, j'ai trouvé génial ou surréaliste qu'il y a ait eu des grommellements sarcastiques à ce sujet dans la salle, pendant qu'on voyait Diane (le/la transexuelle) traverser la salle indifférent-e.

Votre présence apporte de l'oxygène. Sachant que cela va dans les deux sens. Nous ne faisons pas du social mais du cinéma, de la rencontre de sensibilités autour du film. Les usagers du restaurant sont honorés de votre présence. Tony me l'a encore exprimé hier. Mais cela honore dans les deux sens. Ce lieu a une spiritualité que l'on ne retrouve nulle part ailleurs.

Martine
Merci Alain pour ce commentaire ; personnellement, ça m'encourage à continuer les séance au restau. social, pour les raisons que tu évoques. Bon nombre des usagers, sont inscrits dans mon cercle premier de relations fraternelles.

Dossier Bifi : sur le film (auteur Jean-Marc Lalanne)

extrait (page 15) "Parmi les chênes et les roseau"


Une ligne de partage entre les personnages

La fable de Jean de La Fontaine, Le Chêne et le roseau, récitée par François dans son intégralité, exactement au centre de l’histoire, délivre le contenu explicite du film d’André Téchiné. Les chênes et les roseaux tracent en effet une ligne de partage entre tous les personnages. Madame Alvarez, Maïté et Henri sont des chênes ; François et Monsieur Morelli sont des roseaux. Quant à Serge, sa position est plus floue, il tient à la fois des deux catégories. Il peut paraître borné (sa haine épidermique d’Henri), mais, par une sorte de curiosité existentielle, il se plie au désir de François, il parvient à faire le deuil de son frère et il trouve toujours des solutions concrètes à ce qui le tourmente.

Le chêne représente la force, mais une force d’apparence, qui menace de s’effondrer au contact de vents trop violents. Les vents, ce sont ceux de l’Histoire (la guerre d’Algérie), de la mort (le décès de Pierre, fatal à Madame Alvarez) ou du désir. Le roseau peut sembler plus faible (l’allure chétive de François, son  indécision chronique, ses problèmes cardiaques, le non-engagement politique de Morelli, qui lui est reproché aussi bien par Madame Alvarez que par Henri), mais il est finalement plus robuste, car moins directement enraciné à un terreau de préjugés. Sa vision du monde est aussi moins inflexiblement constituée, il sait composer avec ce qui lui arrive, il se laisse porter par sa seule intuition, il plie mais ne rompt pas. Ce contenu moral est relayé à maintes reprises par les dialogues. François reproche à Maïté d’être aussi « rigide » que sa mère ; il s’étonne que Madame Alvarez ait craqué car « elle était tellement forte » (robuste comme un chêne, donc) ; enfin Morelli dit littéralement à Henri, qui refuse de travailler : « Vous êtes comme le chêne de la fable ». Cette bipolarité entre la
rigidité et la souplesse, l’idéal (le communisme, le colonialisme…) et l’expérience (aimer les gens pour ceux qu’ils sont et non pas pour les idées qu’ils représentent), travaille donc le film de part en part.

Les passions et la raison

Nous avons vu dans une autre partie que le récit s’organisait selon deux versants : la pente du politique et celle des affects. Bien sûr, ces deux pentes correspondent, se répondent, s’articulent dans un discours. Si Téchiné cite un fabuliste du dix-septième siècle, son propos prend le contrepied d’une
tradition philosophique contemporaine à La Fontaine (Descartes, Pascal), qui envisage la raison comme le seul outil de compréhension du monde et les passions comme un obstacle à cette entreprise de déchiffrement. Les Roseaux sauvages dit exactement l’inverse. Les passions (l’amour, le désir sexuel, la fraternité, l’empathie) sont les accès les plus sûrs au monde. La raison (les idéologies, les prises de position politique) au contraire l’enferme dans un programme de vérité qui en travestit la complexité.

Evidemment, l’envers de cette position serait une certaine démagogie, voire une démission face au politique. Parce que l’ombre de Renoir est omniprésente sur le film, une phrase prononcée dans La Règle du jeu revient en mémoire : « Ce qui est terrible en ce monde, c’est que tout le monde a ses raisons ». Le film de Téchiné montre effectivement que tout le monde a ses raisons, il opère une sorte de suspens du jugement en ne faisant aucun portrait à charge (ni descommunistes, ni de l’OAS), mais il n’oublie pas non plus la première partie de la réplique renoirienne, à savoir que cela est « terrible ». Ainsi, le film ne cherche jamais à « récupérer » le personnage d’Henri. On pourrait penser que, par sa bonne volonté et son dévouement, Monsieur Morelli saura lui faire entendre la voix de la démocratie et que le personnage va progressivement se défaire de sa haine et de son intolérance. Mais, au contraire, dans la scène du cours particlier, il montre comment le discours ne peut rien. Parce qu’il refuse de prendre position et d’apporter une réponse à la demande d’Henri, Morelli accélère sa décision de partir plutôt que d’aider à son intégration.

Lorsqu’il fait ses bagages, Henri cite de façon ricanante la célèbre formule du discours du Général de Gaulle : « Je vous ai compris ». Si le propos du film est de comprendre chacun personnage, il pointe en même temps les limites de cette volonté de compréhension. Certes, la découverte par Madame Alvarez du mariage de Monsieur Morelli avec une femme arabe (alors qu’elle le soupçonnait de sympathie pour l’OAS) ébranle sa vision manichéenne du politique. Certes, la jeune communiste et le jeune facho ont pu partager un  moment d’intimité intense. Mais, à la fin, chacun continue sa route seul. Henri part de son côté. Maïté renonce à le revoir. François n’a plus d’espoir dans sa  relation avec Serge, ni Serge dans l’amour de Maïté. Un plan très large les montre en train d’avancer dans un paysage immense. Ils avancent mais ils sont  minuscules.

L'expérience du monde et celle du temps

Cette inscription dans le monde est aussi un des enjeux majeurs des Roseaux sauvages. Au début du film, les personnages sont essentiellement inscrits dans la société, c’est-à-dire dans des fonctions précises. Le premier dialogue entre Serge et François porte sur leur origine familiale : Serge dit à
François qu’il n’a rien d’un paysan et lui demande la superficie de la propriété
de son père. Parce que celui-ci est dégagé de tout souci matériel (privilège de son appartenance à la bourgeoisie), il n’en sait rien. Les deux premiers tiers du film se tiennent dans des lieux de forte pression sociale : un mariage – avec tous les rites que cela suppose – la classe, où chacun joue son rôle de prof, de bon élève zélé ou de cancre réfractaire, le siège du parti communiste, la maison
parentale. Mais peu à peu les personnages font l’expérience du monde, c’est-à dire d’un espace plus vaste, où les clivages sociaux s’atténuent, où les êtres se révèlent plus profondément. C’est la nature qui prend en charge cette élévation.
Dans la dernière scène, les quatre adolescents se dénudent, se défont des vêtements qui les typent et les cantonnent dans des fonctions. De la même façon, lorsque Madame Alvarez se met à douter (après avoir été présentée à la femme de Monsieur Morelli), un mouvement d’appareil sur le paysage à perte de vue la met en relation avec un espace soudain plus grand, plus large que l’espace mental (social, culturel) dans lequel ses préjugés l’avaient enfermée. Au-delà de la scène sociale, la nature joue le rôle d’espace d’intégration. A son contact, chacun voit sa configuration du monde remise en cause.

Enfin, une piste plus souterraine parcourt le film en mineur, celle du temps qui passe. On sait la part autobiographique des Roseaux sauvages, où André Téchiné se penche sur son adolescence dans le sud-ouest de la France. Le film est porté par l’enthousiasme de la jeunesse (celle réelle des acteurs principaux, celle retrouvée du cinéaste, qui est allé puiser en lui-même des sensations enfouies), et par son envers, la conscience mélancolique que rien ne dure. C’est le sens de la confrontation de François avec Monsieur Cassagne, le marchand de chaussures, qui n’a plus aucun souvenir de sa jeunesse (« Je ne sais plus, c’était il y a tellement longtemps »). C’est aussi le sens de la phrase de François, qui, à la fin du film, dit son bonheur d’être là avec les gens qu’il aime. Son bonheur est celui d’avoir, ne serait-ce qu’un instant, le sentiment d’être pleinement dans le présent. Mais rien n’est plus fragile que le présent. Un peu plus tard, lorsque François reproche à Serge de vouloir oublier ce qui s’est passé entre eux, le garçon lui répond : « Tout s’oublie. Moi par exemple, la mort de mon frère, il y a des jours où je n’y pense même plus. Tu sais, y’a quelque chose de plus violent que la mort d’un frère, plus violent que la guerre, c’est que tout passe ». Sous ses airs élégiaques et sensualistes, Les Roseaux sauvages est
un film d’une grande mélancolie.

Jean-Marc Lalanne

Dossier Bifi : sur le film

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